Complexe santé Rivière-du-Loup
Divulgation d’échanges entre la Ville de Rivière-du-Loup et le CISSS du Bas-Saint-Laurent
Entre décembre 2021 et janvier 2022, la Ville de Rivière-du-Loup a agi comme une courroie de transmission d’informations entre le promoteur immobilier Groupe Medway et le CISSS du Bas-Saint-Laurent. C’est ce qui ressort de nombreuses correspondances échangées entre le directeur général de la Ville et un fonctionnaire du CISSS.
Des dizaines de documents obtenus par Info Dimanche en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels au cours de la dernière année démontrent que la Ville voulait permettre au CISSS d’«ajuster le devis d’appel d’offres» de la location d’espaces pour le CLSC de Rivière-du-Loup afin qu’il corresponde au projet Complexe santé Rivière-du-Loup du Groupe Medway, un complexe de neuf étages présentement en construction sur la rue Saint-Louis.
Un calendrier de réalisation, des esquisses préliminaires de projet, des plans révisés détaillés et des perspectives 3D du Groupe Medway ont été acheminés par le directeur général de la Ville de Rivière-du-Loup, Denis Lagacé, à un haut fonctionnaire du CISSS du Bas-Saint-Laurent, Martin Legault, entre le 6 décembre 2021 et le 13 janvier 2022.
Ces échanges d’informations concernant le projet immobilier Complexe santé Rivière-du-Loup, qui n’avait pas encore été présenté à la population, ont eu lieu trois mois avant le lancement officiel de l’avis d’appel d’offres par le CISSS du Bas-Saint-Laurent pour la relocalisation du CLSC de Rivière-du-Loup via le système électronique d’appel d’offres, le 15 avril 2022. Le bail de location de 10 ans, qui a finalement été accordé au Complexe santé Rivière-du-Loup, est évalué à 11,2 M$. Selon des chiffres transmis par l’entreprise en 2022, le projet global du Groupe Medway est évalué à 65 M$.
CHRONOLOGIE
Cette histoire commence en juin 2021, au moment où le CISSS du Bas-Saint-Laurent émet un avis d’appel d’intérêt pour la relocalisation des locaux du CLSC de Rivière-du-Loup. On se trouvait alors en pleine pandémie et le KRTB venait tout juste de retomber en «zone orange». À cette première étape, deux potentiels soumissionnaires lèvent la main : Complexe santé Rivière-du-Loup (Groupe Medway) et Place Témis.
Le 20 décembre 2021, Denis Lagacé de la Ville envoie un courriel au lobbyiste du Groupe Medway, Robert Cooke. M. Lagacé lui transmet des informations obtenues auprès du directeur des services techniques du CISSS du Bas-Saint-Laurent, Martin Legault, à propos de l’appel d’offres à venir.
«Concernant l’appel d’offres, il sera publié aussitôt qu’en janvier 2022. M. Legault n’attend que le OK du ministère pour procéder à la publication de l’avis. M. Legault insiste sur l’importance d’avoir rapidement le nombre de stationnements que vous pouvez réserver pour le CLSC afin qu’il puisse ajuster son devis. Par contre, il a été clair, ce facteur sera un critère de conformité à l’analyse de la soumission.»
À ce moment, le projet de Complexe santé Rivière-du-Loup du Groupe Medway et la publication imminente de l’appel d’offres du CISSS étaient inconnus du public. Dans un courriel daté du 13 janvier 2022, il est écrit par le directeur général de la Ville s’adressant au représentant du CISSS que :
«Le promoteur [Groupe Medway] suggère de mentionner 85 cases [NDLR : de stationnement] dans l’appel d’offres compte tenu que les plans sont encore à l’étape préliminaire. Au fond, le promoteur a décidé d’ajouter un étage de stationnement en sous-sol au projet préliminaire déposé en décembre dernier.»
L’avis d’appel d’intérêt datant de juin 2021, auquel Groupe Medway et Place Témis ont répondu, indiquait au départ que les lieux loués devaient inclure 200 places de stationnement à l’usage exclusif du CISSS.
C’est finalement le critère de 85 stationnements qui apparaît dans l’appel d’offres publié quelques semaines plus tard, comme le promoteur l’avait suggéré à la Ville de Rivière-du-Loup, qui a par la suite transmis l’information au CISSS du Bas-Saint-Laurent.
Le 7 février 2022, un peu moins d’un mois après avoir acheminé le courriel de suggestion des 85 cases de stationnement, le directeur général de la Ville s’enquiert de la date de publication de l’appel d’offres auprès du même fonctionnaire du CISSS du Bas-Saint-Laurent. Denis Lagacé revient à la charge quelques jours plus tard, le 22 février 2022 auprès de Martin Legault du CISSS.
«Y’a du monde nerveux ici…le promoteur [NDLR - Groupe Medway] souhaite attendre l’appel d’offres avant d’annoncer son projet et ça nous met mal à l’aise pour lancer notre plan particulier d’urbanisme. Le projet étant la justification de notre démarche politique.»
PROGRAMME PARTICULIER D’URBANISME
Les résolutions concernant le Programme particulier d’urbanisme (PPU) pour le secteur du centre-ville sont adoptées par les élus de la Ville de Rivière-du-Loup le 14 mars 2022. Ce programme visait entre autres à faciliter la relocalisation du CLSC au centre-ville et à soutenir le développement de la rue Lafontaine. Des perspectives 3D du Complexe santé Rivière-du-Loup produites par le Groupe Medway apparaissent dans la documentation du PPU, alors que le projet n’a pas encore été annoncé publiquement à la population.
Ces informations sont confirmées par d’autres échanges de courriels auxquels Info Dimanche a accédé. Les projections du Groupe Medway sont fournies directement par l’entreprise au Service de l’urbanisme de la Ville, qui les transmet à son équipe de graphisme afin qu’elle prépare la documentation de la présentation publique du PPU, qui a eu lieu en avril 2022. Le projet du Groupe Medway a été révélé à la population pour la toute première fois dans un article d’Info Dimanche publié le 23 mars 2022.
91Porn fois le processus d’appel d’offres pour la relocalisation du CLSC de Rivière-du-Loup lancé le 15 avril 2022, le directeur général de la Ville de Rivière-du-Loup écrit à deux autres reprises à son contact au CISSS, Martin Legault, afin de lui demander «pourquoi l’appel d’offres couvrait un territoire aussi grand - 27 juin 2022 - (bien au-delà du centre-ville - 18 juillet 2022)?». Info Dimanche n’a toutefois pas en main la réponse fournie par le fonctionnaire du CISSS, malgré des demandes d’accès à l’information (). L’appel d’offres ciblait un secteur plus large que celui qui a été prévu par l’adoption du PPU de la Ville de Rivière-du-Loup, ouvrant la porte à d’autres projets potentiels ailleurs dans le périmètre urbain.
COMMENTAIRE DU CISSS
Le CISSS du Bas-Saint-Laurent confirme qu’il est toujours en litige judiciaire () avec l’une des compagnies soumissionnaires, Place Témis, concernant la location de locaux pour le CLSC de Rivière-du-Loup. Dans les circonstances, aucun commentaire qui pourrait avoir un effet sur la procédure judiciaire en cours ne sera émis, a fait savoir le porte-parole du CISSS du Bas-Saint-Laurent, Gilles Turmel.
Martin Legault, directeur des services techniques du CISSS du Bas-Saint-Laurent, a pris sa retraite au printemps 2023. Info Dimanche a tenté d’entrer en contact avec lui, sans succès.
RÉPONSE DE LA VILLE DE RIVIÈRE-DU-LOUP
De son côté, la Ville de Rivière-du-Loup a refusé notre demande d’entrevue avec le directeur général, affirmant avoir été blanchie par la Commission municipale à ce sujet.
Toutefois, l’enquête de la Commission municipale portait sur le respect des règles d’éthique et déontologiques et des lois lors des différentes étapes de délivrance des permis (dont le PPU) pour la construction du Complexe santé Rivière-du-Loup.
La preuve analysée concernant le processus d’émission des permis de construction ne lui a pas permis «de démontrer de favoritisme ou de contravention aux lois», selon une lettre envoyée à la Ville de Rivière-du-Loup le 29 juin 2023 par la Commission municipale du Québec.
Le fait, pour le directeur général Denis Lagacé, d’avoir servi de messager entre le Groupe Medway et le fonctionnaire du CISSS du Bas-Saint-Laurent avant le lancement d’un appel d’offres public ne semble pas avoir été retenu par la CMQ. Dans le cadre de son enquête, elle a déterminé que les gestes posés ne contrevenaient pas à l’article 21 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, et qu’ils ne constituaient pas un acte répréhensible au sens de l’article 4 de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics.
«Pour la Ville, tout ce qui a été fait dans le dossier du Complexe santé Rivière-du-Loup a été fait de bonne foi, sans volonté de nuire ou de favoriser indûment qui ou quoi que ce soit. Nous ne ferons aucun autre commentaire en lien avec ce sujet», a indiqué le directeur des communications de la Ville de Rivière-du-Loup, Pascal Tremblay.
AUTORITÉ DES MARCHÉS PUBLICS
Contactés par Info Dimanche, des porte-paroles de la CMQ et de l’Autorité des marchés publics se sont montrés intéressés à en savoir plus sur ce dossier, sans toutefois pouvoir le commenter.
À ce jour, l’Autorité des marchés publics a rendu trois décisions concernant le CISSS du Bas-Saint-Laurent, en 2021, 2022 et 2023. L’une d’elles recommandait au CISSS de former son personnel œuvrant en gestion contractuelle concernant les exigences de la Loi sur les contrats des organismes publics. En réponse, le CISSS a soumis en 2021 un plan d’action dans lequel il s’engageait à réviser sa politique interne de gestion contractuelle. La récente vérification de l’AMP qui date de mars 2023 indique que cet engagement n’a pas été respecté.
L’article 2 de la Loi sur les contrats des organismes publics compte parmi ses principes le traitement intègre et équitable des concurrents, la transparence dans les processus contractuels et la possibilité pour les concurrents qualifiés de participer aux appels d’offres des organismes publics.
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