Vive les impôts
Pierre Jobin
À la lecture de ce titre, vous vous dites peut-être que j’en ai fumé du bon. Ou que je suis tombé sur la tête et que je n’ai pas encore repris mes esprits. D’autant plus que c’est la deuxième fois que je coiffe un texte de ce titre. La première fois, c’était dans l’édition du 20 mars 2002 du petit journal communautaire de ma localité.
Je persiste et signe : Vive les impôts
La période de l’impôt est à nos portes. Nous sommes confrontés à la tâche souvent pénible de rassembler tous les documents nécessaires à la production de nos deux rapports d’impôt. Ensuite, à défaut de payer quelqu’un pour le faire, nous devons nous mettre à l’ouvrage et remplir ces fameux formulaires parfois si complexes. Et si certains d’entre nous auront le bonheur de recevoir un retour d’impôt, d’autres se retrouveront au bout du processus avec un montant à payer.
Des services publics en retour
Ce moment un peu pénible de l’année ne doit pas nous faire oublier les avantages que nous procurent les impôts.
On pense bien sûr à l’accès gratuit ou presque aux services d’éducation et de santé, services qui accaparent la plus grande partie du budget du Québec. On pense également à toutes les mesures qui assurent un certain filet social aux plus démunis. Mais les dépenses publiques ne s’arrêtent pas là. Pensons à l’inspection des aliments, au soutien à la culture, à la gestion des parcs publics, à l’entretien des routes, aux services de garde, etc. Les impôts sont une façon d’assurer un accès beaucoup plus équitable à des services dont beaucoup étaient privés il y a des dizaines d’années. Avant la Révolution tranquille, des milliers de nos concitoyennes et concitoyens n’avaient pas accès à l’éducation après le primaire et encore moins à des études post-secondaires. Des familles se mettaient sur la paille en payant les frais médicaux d’un des leurs.
Bref, quand on dit qu’on est tanné de donner de l’argent au gouvernement, c’est qu’on oublie que cet argent nous revient en service de toutes sortes.
91Porn manière de réduire les écarts de revenu et de richesse
L’impôt est aussi un excellent moyen de mieux répartir la richesse. Depuis des décennies, les écarts de revenus entre les travailleurs au bas de l’échelle et les président-directeurs généraux d’entreprises ont pris des proportions faramineuses. L’impôt sur le revenu contribue à réduire un peu cet écart. Certes, la formule n’est pas parfaite, car si l’impôt sur le revenu réussit à réduire un peu l’écart à ce niveau, il ne réduit pas l’écart de richesse entre les citoyens et citoyennes. Car si on vante souvent le Québec pour la réduction des écarts de revenus, la province ne fait pas aussi belle figure au niveau des écarts de fortune. La Canada n’est pas non plus un modèle de répartition de la richesse : « Au Canada, les 1 % les plus riches détiennent 25 % de la richesse (patrimoines) au pays, les 10 % les plus riches détiennent 58 % de la richesse, et les 50 % les moins riches possèdent seulement 6 % de la richesse. » (1)
Mais payons-nous trop d’impôt ?
La réponse à cette question a quelque chose de subjectif. Trop d’impôt par rapport à quoi ? Par rapport à qui ? Pour justifier la baisse d’impôt promise, le gouvernement du Québec nous compare avec nos voisins de l’Ontario qui paient moins d’impôt que nous. Mais comme le souligne des économistes et des analystes des finances publiques, cette comparaison omet des éléments importants : « D’une part, et c’est un fait bien documenté, le Québec est beaucoup plus généreux que l’Ontario en ce qui a trait au soutien aux familles. D’autre part, les tarifs sont généralement plus élevés en Ontario : hydroélectricité (750 $ de plus par an), garderies (500 $ de plus), droits de scolarité (4500 $ de plus), assurance automobile (800 $ de plus), etc. » (2)
La comparaison avec les taux d’imposition des états ne tient pas compte des services rendus à la population.
Le coût des baisses d’impôt
L’actuel ministre des Finances a promis de réduire d’un point de pourcentage le taux d’imposition des deux premiers paliers de la table d’impôt (15 % et 20 %), les amenant respectivement à 14 % et 19 %. Selon les estimations, ces baisses d’impôt vont couter aux finances publiques entre 1,8 et 2 milliards de dollars. « Pour les contribuables, la baisse d’impôt moyenne sera de 300 $. Pour les contribuables gagnant 100 000 $ et plus, elle pourra atteindre 810 $. » (3) Cela peut sembler un beau cadeau en ces temps d’inflation, mais cela n’aura pas grand effet si cela s’accompagne d’une baisse de services ou d’une augmentation de tarifs. Et surtout, cela sera surtout profitable aux personnes ayant un revenu élevé, donc pour les personnes qui ont le moins de difficultés pour affronter l’inflation.
L’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) dans son bulletin aux membres a illustré ce que pouvait représenter 1,8 milliards dans le budget de l’état. Cela pourrait représenter l’équivalent du salaire annuel soit de 24 000 enseignant-e-s, soit de 23 000 infirmières cliniciennes, soit de 44 000 préposé-e-s aux bénéficiaires, soit de 25 000 travailleuses sociales et travailleurs sociaux.
Les citoyens et citoyennes du Québec n’ont pas vraiment les moyens de se passer des services publics et le contribuable n’y gagnera pas s’il doit aller chercher ailleurs les services dont il a besoin.
Nous avons une chance que bien des personnes n’ont pas : celle d’habiter dans une démocratie libérale basée sur un état de droit, le respect de libertés fondamentales de la personne et sur le principe de l’égalité des chances. Nous faisons face à des défis importants tel le réchauffement climatique, la pénurie de logement et la santé mentale pour n’en nommer que trois. Il faut se donner les moyens de nos ambitions et l’impôt est un outil incontournable pour ce faire.
(1) Inégalités économiques, l’écart se creuse au Canada:
(2) Baisse d’impôt, la population sera perdante:
(3) Ibidem
1 commentaires
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L'usage trop souvent farfelu qui est fait de ces impôts par les gouvernements successifs ne doit pas faire oublier l'objectif social de ce système : atténuer les effets du capitalisme sauvage en répartissant la richesse collective au profit de tous.
Ce qu'il faut combattre, ce n'est pas le principe, c'est son application quand celle-ci ne se fait pas au bénéfice de ceux qui en ont besoin!